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Un phénomène peu mentionné est en train de se produire : les membres les plus conscients et les plus éveillés d’une société se retirent discrètement de la vie publique. Ils ne le font pas d’une manière médiatique, ni comme une protestation. Ils disparaissent le plus possible sans drame ni publicité. Ils choisissent une vie solitaire plutôt qu’une existence sociale : ils coupent les ponts avec leurs cercles sociaux, ils abandonnent leurs carrières, ils arrêtent les réseaux sociaux, ils investissent de manière consciente et volontaire d’autres formes de sociétés en marge.

Carl Jung l’avait prédit : il appelait cela « le retrait nécessaire ». Car lorsqu’une personne devient plus consciente, continuer à participer à l’inconscience collective devient lourd, voire douloureux. Il se créé un décalage de plus en plus vaste entre la conscience individuelle et l’inconscience collective, et ce décalage exige une énergie de plus en plus importante pour le supporter.

Ce retrait est inévitable, essentiel. Devenir plus conscient provoque un écart avec la société. C’est un phénomène concret, un mécanisme de survie psychique face aux menaces de l’inconscience de masse. Sentir un besoin de tout quitter, de se marginaliser : ce ne sont pas des pulsions antisociales, mais un instinct de protection, un besoin d’authenticité et de liberté, une démarche de libération et d’individualité.

La société fonctionne sur des principes occultes collectifs : les égrégores. Ce sont des formes pensées collectives, créées et enrichis par les activités physiques, émotionnelles, psychiques humaines. Ils structurent et cimentent les vies en société. Mais ils limitent également les aspirations à la libération spirituelle et au chemin de vie individuel.

Ces égrégores ne sont pas des accidents, mais ils sont les briques invisibles du système. Et à partir de cet aspect occulte sont engendrés les inconsciences de la sociétés : conflits, guerres, certitudes, habitudes, dogmes, opinions, groupes de pensées, idéologies, projections, dualités, accusations…  Ils fonctionnent par les participations inconscientes des membres de la société. A partir du moment où une personne s’éveille et commence à individualiser sa pensée et sa vie, elle commence à se libérer des égrégores collectifs et limitatifs qui géraient auparavant son existence. Elle devient une menace pour tout le système, elle se sent en décalage. Les questionnements existentiels et les problèmes apparaissent alors. 

Face à cette prise de conscience et ces nouvelles difficultés, se retirer sans faire de bruit semble la meilleure solution. Une fois les yeux ouverts, la conscience émergée, il est impossible de faire machine arrière. C’est un processus invisible et incompréhensible pour la société, mais puissant et irréversible. Les relations deviennent intenables, le sens de la vie ridicule. Ce n’est pas de l’arrogance ni de la supériorité, c’est de la conscience. 

Il apparait alors un sentiment douloureux de solitude, de différence, d’incompréhension, de moquerie. Ce sentiment de solitude psychique est bien plus insuportable que la solitude physique, qui reste elle objective et visible. Cette solitude est quant à elle invisible. Elle n’a aucun plan de secours ni manuel d’explication. Cette existence se vit à partir d’une réalité différente et unique. 

Se retirer de sa vie publique est un réflexe de protection sain et normal. Ce n’est pas une fuite ni une haine de la société, mais un respect de leur individualité. Rester et maintenir la vie d’avant serait une trahison de leur conscience, un effort constant et perdu d’avance. 

George Gurdjieff disait : 

« Les hommes sont des machines et on ne peut attendre des machines que des actions mécaniques. »

« Lorsqu’il commence à se connaître, un homme voit qu’il n’a rien qui lui soit propre… [et] tout ce qu’il a considéré comme sien, ses opinions, ses pensées, ses convictions, ses goûts, ses habitudes, même ses défauts et ses vices, tout cela ne lui appartient pas, mais a été soit formé par imitation, soit emprunté à quelque chose de tout fait. En ressentant cela, un homme peut ressentir son néant. Et en ressentant son néant, l’homme doit se voir tel qu’il est réellement. »

S’éveiller c’est percevoir une société entière en mode automatique, totalement téléguidée par des forces invisibles dont elle n’a même pas la connaissance. C’est percevoir une société constamment en train de projeter ses ombres à l’extérieur d’elle même. C’est percevoir une société ignorante de sa propre étincelle divine, qui gache la dimension spirituelle de son existence sans même en avoir conscience. 

C’est comme regarder un mauvais film, une psychose de masse, un apocalypse de zombies. Car Jung nommait cela le poids du regard. La participation à ce jeu devient alors impossible. 

Se retirer devient une obligation spirituelle. Mais discrètement, afin de ne pas devenir une cible et de ne pas nourrir les égrégores de conflits. Une fois sur son chemin de vie unique, une fois le processus d’individualisation amorcé, il est impossible de participer à la vie sociale comme avant, car le décalage est trop grand, trop incoutenable, trop faux, trop incompatible, le masque du mensonge est trop lourd. 

Se mettre en marge, c’est se préserver et pouvoir développer son individualité divine, c’est pouvoir enfin devenir qui on est. C’est un phénomène de société qui n’est mentionné nulle part, qui ne fait l’objet d’aucune étude car son caractère principal est spirituel.